Michel DUNAND : un poète en ses volcans – par Marie-Claire Bussat-Enevoldsen

 

Voici son neuvième recueil au beau titre énigmatique  J’ai jardiné les plus beaux volcans. L’on se dit : « Où va-t-il nous mener ? ». En exergue, pour visa, Michel Dunand cite William Blake « La route de l’excès mène au palais de la sagesse ». Quel itinéraire va-t-il emprunter ? Insaisissable voyageur itinérant, sa coquille de pèlerin amoureux dissimulée dans ses bagages, aux côtés de son passeport, son petit carnet et son stylo, le poète survole la terre, dessine sa carte géographique, miroir de sa quête intérieure, au gré de ses coups de cœur, de ses émotions, de ses rencontres, créant ainsi une mappemonde de portraits intimes. Tantôt sifflotant comme à Chicago « Paris sous le bras », tantôt questionnant le ciel du Nicaragua « Qu’est-ce qu’un vers ? Un univers ? Qu’est-ce qui se passe, au juste, au cœur des mots, dans l’intervalle éblouissant qui les relie ? ». Un ange passe…

Minimaliste dans sa prose, ou plus justement  pointilliste dans son écriture poétique brève, comme écourtée dans son élan, Michel Dunand privilégie l’esquisse, la caresse, le trait, l’émotion, l’aveu, la pirouette, la chansonnette, l’air du temps, la confusion du monde, la perplexité des êtres, la complexité des événements. Le voici à Rio de Janeiro, saisissant l’envol désespéré d’une troublante métaphore « Le sang repeint sans fin la forêt de tôle usée » (La cité du feu) ; à San Francisco, percevant les cris du silence  « Les murs ont la parole », notant entre parenthèses : 52000 sans-abris en 1999 ; arpentant ses rêves éveillés  devant une œuvre de Jean-Michel Basquiat « L’inspiration descend du sol, de la rue » ; interpellant Truman Capote « Je suis un rôle en or… Qui me jouera, si je ne le fais pas ? » ; extatique dans Valparaiso « Je bois tout ce que je vois. Mon âme est un vrai tableau. Feu d’artifice ou bouquet, c’est selon… ».

Le lecteur suit le poète dans ses allers-retours entre l’Europe et l’Amérique, entre le regard et la main, ce singulier cheminement entre ce qui est vu, perçu, puis ressenti, jusqu’à la dernière page d’un petit carnet d’écolier à gros carreaux. Ecrit à la plume, à l’encre bleue, le recueil surprend dans sa forme fleurant « l’autrefois », singulier contraste avec son enveloppe au pliage moderne, de couleur nuancée vert fluo. L’effet est réussi, soulignant, une fois encore, la très sélective et subtile collection PO&PSY (dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot) des éditions Erès (2014). Que confesse alors le poète, laconique et un brin facétieux ? « J’ai du mal à parler de moi. Je n’y tiens pas vraiment. J’ai donc décidé (…) de laisser la parole à certains de mes compagnons de route, ou de mes guides. Ils vous diront forcément, tout en se présentant (…) qui je suis, qui je ne suis pas. Mais ne vous fiez pas trop à leurs propos. Je reste un écrivain ». Le défi est de taille, ces maîtres passeurs sont d’éminents personnages, écrivains, poètes, peintres, explorateurs, tous franchissant les siècles, les continents, immortels enchanteurs de l’âme humaine.

L’image littéraire s’impose d’elle-même, ces guides illuminent l’universel imaginaire, telles des montagnes sacrées en feu, dont les perpétuelles métamorphoses jaillissent en pluie de symboles individuels et intimes. Les voici, peut-être, ces volcans de l’imaginaire… L’inconscient de l’écolier rêveur et timide s’est agrandi, il affleure sans cesse, provoquant son aîné évidemment complice « Ils ont craché tous leurs démons. J’aspire à la paix des volcans, la joie des vieux volcans éteints dont le sein vert et lourd me ravit, m’apaise et me rassure ». Eternel retour aux origines, sensualité d’une terre mère fécondante, nourricière, à jamais bienveillante. Quoique… Le poète fut longtemps professeur des écoles, il en a gardé l’attitude appliquée, mesurée, faussement naïve « J’ai jardiné bien des volcans, Mais tout à coup, là, devant vous, mes chers enfants, vieux fous, j’hésite un peu, je l’avoue ». Il nous avait prévenus, c’est bien lui qui tient la plume.

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